Les enfants du fond du lac se souviennent.
Face à leur vallée, berceau de jeunesse,
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A jamais engloutie par l'onde glacée,
Eaux profondes et noires souveraines,
Ils pensent aux années bordées de tendresse,
A leur village, par les flots, effacé.

Les rides taquinent les cheveux blancs.
Les regards résignés percent les grands fonds,
Pour retrouver un parfum, un ancêtre,
Une école, un clocher, un reste d'antan.
Quels déchirements, quels désespoirs profonds !
Adieu Terre chérie qui nous a vus naître.

Partagés entre colère et raison,
Les aïeux regardent l'œuvre de l'Homme.
Mur de la force et de la lumière,
Façonné par le génie et le béton.
Barrage pour sauver le monde, en somme,
Pour faire d'un village, un cimetière.

Les yeux embués par un voile d'émotion,
Les aînés redeviennent des chérubins,
Oiseaux chancelant entre père et mère.
Ils sauront le poids de la séparation
Quand papa ira à la guerre, très loin,
Ils vivront l'amour, le froid et la misère.

Plus tard, viendra la terrible nouvelle.
Il faut partir, fuir, quitter ses repères,
Tuer ses racines, les ans, les mois, les jours.
Demain, le clocher n'ira plus dans le ciel,
Son coq pleurera sous les dents de l'enfer,
Puis le village expirera pour toujours.

La fraîcheur tombe sur le lac endormi.
Les enfants de la vallée noyée tressaillent.
Ils disent au revoir à leur beau village,
C'était le destin, ils n'ont pas d'ennemi.
Faut vivre avec son temps, vaille que vaille,
Ils reviendront marcher sur le barrage.

Marc GANRY