La brume annonce une belle journée et envahit la vallée de son voile blanc.
Déjà les premiers rayons du soleil caressent la cime des arbres et éclairent les coteaux.
Une légère brise transporte les parfums d'un automne naissant.
C'est l'époque des raisins, des noix, des châtaignes et des cèpes de Bordeaux.

Dans la vigne, hommes, femmes et enfants sont occupés dans les sillons.
De bon matin, les gentils vendangeurs taquinent les belles vendangeuses.
Agréables moments où les grappes dorées remplissent les caissons
Et où les bois quittent leur reste de verdure pour des couleurs plus lumineuses.

Soudain la bête surgit du bosquet épais et pentu. Elle est désemparée et perdue.
Elle fuit les chiens au poitrail puissant, dressés pour lui voler la vie.
La biche a les yeux hagards. Elle frissonne et ne sait que faire pour son salut.
Son cœur frappe fort dans sa poitrine de maman. Ses muscles sont meurtris.

Tout se passa très vite. Elle broutait sous les chênes centenaires et avait fière allure
L'herbe verte était tendre et délicieuse. Elle croquait sous la fine rosée.
La biche goûtait ce moment de bonheur. Elle ne remerciera jamais assez la nature
De lui procurer tant de liberté et de lui donner chaque jour à manger.

Quand elle entendit les premiers aboiements sur les crêtes embrumées,
Son cœur se déchira et son corps tressaillit. La biche dressa la tête et écouta dans le vent.
C'est alors que les fauves solidaires apparurent, sans âme et commandés pour tuer.
Il fallait fuir, coûte que coûte et devancer ces monstres, absolument.

La mère comprit vite que dans cette course folle, à la vie, à la mort,
Elle ne gagnera pas ce combat ou l'homme et ses serviteurs sortiront vainqueurs.
Un instant, tel l'éclair, elle réalisa le danger et se mit à galoper de tout son corps.
Elle dévala les versants et gravit les coteaux, avec à ses trousses la bande de tueurs.

Quand elle voit les hommes et les femmes dans les sillons touffus de la vigne,
Elle s'arrête et veut aller vers eux pour que sa vie ne soit plus en danger.
Mais l'homme est imprévisible. Elle le sait. De lui, la biche n'attend aucun signe.
Les chiens se rapprochent. Les aboiements aussi. La maman reprend sa course effrénée.

L'animal à la robe de velours, symbole de douceur et d'innocence, rassemble toutes ses forces
Il faut traverser à tout prix le ruisseau qui serpente au fond de la vallée et gagner la forêt.
La biche connaît bien l'endroit pour y être venue maintes fois brouter les tendres écorces.
Elle se jette à corps perdu dans les broussailles et les ronces. C'est le prix de la liberté.

Les aboiements sont de plus en plus proches. Les envoyés de Satan vont arriver.
La maman pleure. Son corps n'est que douleur. Elle ne peut lutter longtemps encore.
Elle ne voit pas la clôture et les fils de fer aux pointes acérées. Le piège vient de se refermer.
La bête est vaincue. La poitrine lui fait mal. Elle se laisse tomber et attend la mort.

Exténuée, la petite biche ne réagit pas. Elle est seule et ne pense plus.
Le souffle des chiens sur son corps sans vie lui signifie la présence toute proche des prédateurs.
Prisonnière, la reine des forêts abandonne son âme. Le combat est fini. La partie est perdue.
Elle ferme ses yeux pleins de larmes. Elle ne verra pas le canon en acier qui lui brisera le cœur.

Le petit garçon coupe les raisins et les range délicatement dans le panier en osier.
Il a entendu le coup de feu. Il est triste, le chérubin. Il sait que la petite biche est morte.
Il en veut à ces hommes qui se délectent de leur forfait. Il en veut au monde entier.
Pourquoi tant d'injustice. Le combat était inégal. Le gamin crie vengeance et sa voie est forte.

Marc GANRY