Souvenirs de vignes

Souvenirs de vignes

Les vignes de Marcillac sont à l’honneur ici, dans le chapitre Terroir du Florilège de poèmes, et elles sont célébrées par un enfant de Cognac, mon frère Marco ! Nos parents étaient des vignerons du Cognaçais. Mais le privilège de l’âge fait que j’ai des bons souvenirs des vignes de Cognac, des vignes d’antan, souvenirs que je voudrais évoquer ici pour faire pendant, certes symboliquement, aux vignes de Marcillac. En effet, mon enfance des années 50/60 fut rythmée par les travaux viticoles et vinicoles.

Mon premier souvenir m’emmène dans ce chai où il y avait le cuvier. C’est là que se déversait le jus du raisin qui venait d’être vendangé et qui donnera, après une longue alchimie, ce vin si attendu. Même une fois vidé de son contenu parti un jour, sans que je le sache, je ne sais où, pour aller donner cette eau de vie, ce cognac…..cette « part des anges » qui noircit tant les murs et les toits de cette Charente de mon enfance… Même une fois vidé de son contenu, disais-je, il continue à y régner une odeur qui m’emplit encore aujourd’hui les narines simplement et seulement en y pensant, une odeur de raisin, une odeur de vin, une odeur d’eau de vie, une odeur de cognac, toutes mêlées, avec quelque part des anges pour veiller à bien la préserver.

En bas du cuvier, il y avait deux épaisses petites portes métalliques qui permettaient d’avoir un accès à l’intérieur, mais elles étaient la plupart du temps fermées, gardiennes du temple des maîtres alchimistes de l’intérieur et pour moi tout n’était que mystère. Quelle ne fut pas ma joie et mon émerveillement, un jour que je pénétrais seul dans le chai où régnait toujours une douce pénombre, de voir que les portes étaient ouvertes. De ces portes sortait une clameur, un écho, un bruit résonnant. Seraient-ce les maîtres alchimistes dansant sur une musique jouée par les anges du vin? Je m’approchais à pas feutrés pour ne pas perturber ces maîtres de lieux qui auraient pu prendre ombrage de ma présence et m’imposer je ne sais quelle punition ou sévices. Et puis il y avait cette crainte, et non des moindres, de voir grand-père arriver, lui qui rodait si souvent par ici pour aller dans la cuisine en passant par le chai et la souillarde. Il n’aurait pas compris que j’ose m’aventurer en ce lieu interdit aux enfants, tout comme grand–mère qui me racontait des histoires de grosse-vieille pour que je n’ose pas me pencher au-dessus de la margelle du puits à Vignolles. Timidement, la peur au ventre, je m’armais de courage pour mettre la tête dans cette ouverture et pouvoir découvrir ce qu’il pouvait bien y avoir dans cet intérieur si sombre. Au fur et à mesure que j’avançais, il y avait cette odeur de plus en plus forte de vin, d’eau de vie et de cognac mêlés, qui finalement me rassurait.

« Qué tou qu’tu fais là mon drôle ? ».

Qui me parlait ainsi avec une voix si connue mais tellement amplifiée, comme faisant écho à elle-même ? Juste le temps d’avancer la tête, et je découvris mon tonton Raymond avec un grand sourire et un balai à la main.

« Que fais-tu tonton ? » …

et maintenant c’est ma voix fluette qui résonnait comme venant d’outre-tombe.

« Eh bin mon drôle, j’nettoiye le cuvier »

Tous les alchimistes avaient disparu et les anges envolés et ma peur en même temps….et combien de fois ensuite j’ai passé ma tête dans ces petites portes ouvertes en bas du cuvier pour faire résonner ma voix, grâce à mon oncle Raymond, sans plus avoir peur de grand-père et des grosses vieilles de grand-mère.

 Plus tard, je vous raconterai deux autres souvenirs.                                                                                                                                                   

 Jacky Ganry

 *Extrait de Raymond DROUHARD de la MARE Le poète aux multiples facettes. Autopublication de  Francis, Jacky et Marc Ganry, 2009