L'enfant du cyclone

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Les premières rafales, en ce 28 août 1979, annoncent la tempête.
Les bananiers se courbent, comme pour éviter l'ouragan.
Les habitants de l'Ile aux fleurs, aujourd'hui, n'ont pas le cœur à la fête.
Ils connaissent les cyclones qui dégradent les maisons et soulèvent l'océan.

Au port, les bateaux sont solidement amarrés aux quais.
Les rues de la ville se vident peu à peu. Il faut attendre les déchaînements.
Les arbres ne savent plus où donner de la tête. Portes et fenêtres sont bien protégées.
Le ciel progressivement s'obscurcit. C'est un spectacle étonnant.

La maman n'est pas tranquille et pourtant elle est heureuse.
Dans peu de temps, elle va enfanter. Quel bonheur !
Sur son lit de maternité, elle se sent seule et devient soucieuse.
Sera ce un garçon ou une fille ! Quel prénom pour ce petit cœur !

Dehors, la nuit s'installe dans une obscurité profonde.
Au cœur de la tempête, la végétation, si luxuriante, se soumet, impuissante.
Les éclairs incessants déchirent les ténèbres. Le tonnerre, sans retenue, gronde.
Des trombes d'eau s'écrasent sur la cité. Rien ne peut arrêter la tourmente.

Dans les chambres et couloirs du service qui donne la Vie, c'est l'effervescence.
Les nouveaux nés pleurent, les employées s'activent et les mères crient de douleurs.
Un groupe électrogène, trop bruyant, donne son énergie à toute puissance.
Brigitte s'essuie le front. Elle transpire et ne peut supporter tant de chaleur.

Elle rêve alors de calme, de clarté, d'une chambre gaie et de fraîcheur.
Elle revoit alors la maternité où elle donna la Vie à son premier enfant, Frédéric,
Un gros bébé débordant de vie qui, déjà, dans ses langes, faisait battre les cœurs.
C'était le 02 octobre 1976, à Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques.

Mais la réalité est là, dans cette pièce , sur ce lit, à attendre que bébé soit prêt.
Brigitte perçoit les premières contractions dans son ventre.
La grosse pluie, sous l'effet du vent violent, crépite contre les volets.
La maman ne peut plus attendre. Dans la salle d'accouchement, il faut qu'elle rentre.

L'océan se déchaîne et déborde dans les rues. Il ne maîtrise plus les déferlantes.
le cyclone envahit la ville de Fort de France, autrefois Fort Royal..
Brigitte pense à son mari et adresse des prières pressantes.
Mais la tempête est trop forte. Il ne viendra pas. La maman le sait et elle a mal.

C'est la longue attente. La respiration est vive pour contenir les douleurs.
Il faut faire vite, bientôt la délivrance. Brigitte va faire un bébé, un gros, un beau.
Mais, en cet instant d'extrême souffrance, ou est le médecin accoucheur !
Madame, il est parti secourir ses enfants, en mer, sur des îlots.

A l'extérieur, les dieux perdent la raison. Les éléments ne se contrôlent plus.
La tempête accomplit son œuvre, comme pour se venger des Hommes, à sa façon.
Demain, quand les démons seront partis, dans les plantations, les villages et les rues,
Ce sera l'heure des bilans, des constats et des désolations.

Brigitte est affaiblie mais, dans un ultime effort, libère le bébé.
La maman est exténuée, mais heureuse. Elle a donné la Vie. Frédéric a un petit frère.
La tradition aurait voulu que l'enfant du cyclone se prénomme David, en vérité.
C'est le nom de baptême de cette tempête qui, en cet instant, a séparé père et mère.

Le lendemain, l'île respire. Le soleil brille, les rues s'animent dans la ville.
La vie reprend peu à peu. A la clinique le papa embrasse le bébé.
Il est fier. Il en veut à David. D'un commun accord, ce fils se prénommera Cyril.
Ce sera l'enfant du cyclone, un vrai petit martiniquais.

Marc GANRY